En attendant GTA 6, retour sur la saga la plus satirique du jeu vidéo

En attendant GTA 6, retour sur la saga la plus satirique du jeu vidéo

Grand Theft Auto existe maintenant depuis 26 ans. Devenu un monstre du jeu vidéo, le dernier trailer de GTA 6 a créé un énorme engouement chez les fans en dressant une satire de la société actuelle. C’est devenu une habitude de la saga à travers ses différentes épisodes comme on va le voir.

La révélation du trailer de GTA 6 le 5 décembre dernier a suscité un engouement considérable. Outre son succès phénoménal en termes de visionnages, dépassant même celui de GTA 5 avec plus de 140 millions de vues, les internautes ont vivement réagi à cette bande-annonce profondément ancrée dans l’actualité. La vidéo offre un aperçu d’une Amérique en déclin, fortement influencée par la culture de l’image et la prédominance des réseaux sociaux. Cette approche n’est guère surprenante, étant donné que Rockstar Games est reconnu pour construire une satire de la société à travers sa franchise.

Acheter GTA V sur PS5

 Historiquement, les jeux de la série GTA se sont constamment démarqués des conventions habituelles. Plutôt que de nous présenter un protagoniste du côté de la légalité, Rockstar a toujours opté pour des anti-héros, en marge des normes socialement acceptées. Dans GTA Vice City, par exemple, le joueur prend les traits de Tommy Vercetti, ancien membre de la famille Forelli (une organisation criminelle mafieuse italo-américaine) devenu le chef du Gang Vercetti. GTA IV nous met aux commandes de Niko Bellic, un immigrant serbe fuyant un passé trouble. Quant à San Andreas, le joueur incarne Carl Johnson, un afro-américain membre de la famille de Grove Street. Bien que la série ait toujours offert ce type de personnages, c’est particulièrement le troisième opus qui a radicalement bouleversé la dynamique de la franchise.

GTA 3 a constitué le socle fondamental de la saga, se présentant comme une version en 3D qui compile les éléments des deux premiers opus. Bien que ne critiquant pas encore l’Amérique contemporaine, cet épisode s’inspirait alors principalement de films de gangsters emblématiques tels que Le Parrain ou Les Affranchis pour sa trame narrative. Néanmoins, il a introduit un univers plus interactif et cinématographique. Selon Marc A. Ouellette, professeur à l’université Old Dominion en Virginie et auteur de l’article « Grand Theft Auto: San Andreas & video games as speculative fiction », GTA 3 a engendré un changement de paradigme significatif, symbolisant une époque où les jeux ont évolué vers une plus grande maturité. Pourtant, le titre que nous connaissons a dû subir des modifications de dernière minute.

Le 11 septembre 2001, le monde est sous le choc après les attentats contre le World Trade Center. Or, GTA III devait sortir dans ces eaux-là. Pour ne pas choquer un peuple américain encore en deuil, les équipes de Rockstar ont procédé à des changements de dernière minute. Par exemple, les démembrements de PNJ, notamment à l’aide du fusil de précision ou de fusil d’assaut, ont été désactivés dans la version PS2 et il est impossible de détruire des avions de ligne. Selon les développeurs, 1 % du contenu du titre avait été censuré. Si Vice City sort un an plus tard, c’est surtout avec GTA San Andreas en 2004 que la saga propose une vraie critique de l’Amérique contemporaine.

GTA San Andreas : Entre flics ripoux, racisme et pauvreté                                                   

    GTA San Andreas marque le premier opus de la série à aborder de manière plus incisive les cr

 

itiques envers la société américaine. Pour débuter, le studio a délibérément opté pour un protagoniste noir, incarné par Carl Johnson, surnommé CJ. Il est essentiel de noter que cette décision était assez inhabituelle en 2004, une période où les personnages principaux jouables de couleur demeuraient encore rares dans l’univers des jeux vidéo. En sus de cela, le scénario explore les réalités des quartiers défavorisés aux États-Unis. CJ se trouve plongé dans une ville échauffée par les conflits entre gangs, offrant ainsi une perspective critique sur ces dynamiques sociales.

Notre protagoniste se retrouve même confronté à des agents de l’ordre corrompus, qui complotent pour le faire accuser du meurtre de Ralph Pendelbury, un autre policier. Ces forces de l’ordre exercent régulièrement des pressions sur lui, l’obligeant à travailler pour leurs intérêts. Ainsi, le récit souligne également le thème de l’impunité dont bénéficient souvent les policiers fautifs. Au-delà de cette intrigue, le scénario met en lumière la réalité selon laquelle un jeune issu d’un quartier comme celui de Los Santos est inévitablement poussé vers la criminalité, en raison de la marginalisation systématique qu’il subit de la part de la société.

Malgré son message profond, GTA San Andreas a été confronté à la rigidité morale américaine en raison d’un mode caché retiré à la dernière minute, permettant des interactions sexuelles. L’affaire a suscité l’attention jusqu’à Hillary Clinton, alors sénatrice de l’État de New York, qui a appelé à une nouvelle législation en réaction. Dan Houser, cofondateur de Rockstar, avait exprimé ses regrets dans les colonnes de The Guardians, soulignant le caractère injuste de l’attaque contre le jeu. Il avait noté que si les mêmes éléments avaient été présentés dans un livre ou un film, cela aurait été moins controversé, mettant en évidence une certaine hypocrisie sociale qui accorde parfois plus d’importance à la représentation du sexe qu’à celle de la violence, témoignant ainsi d’une attitude ambiguë envers les armes à feu dans la société américaine.

GTA 4 ou l’illusion du rêve américain

En 2008, GTA 4 revisite ce scandale à travers la Statue du Bonheur, une parodie évidente de la Statue de la Liberté à New York. La statue affiche un visage rappelant celui d’Hillary Clinton et tient une tasse de café fumante. Cependant, la véritable importance de ce monument réside dans sa critique vive du rêve américain. En caricaturant cette sculpture emblématique, les développeurs s’attaquent directement à ses symboles. La Statue du Bonheur, censée incarner la liberté et l’émancipation face à l’oppression, est dépeinte d’une manière ironique. Dans le manuel du jeu, la description du monument le présente comme un « cadeau des Français à la fin du XIXe siècle, évoquant un mélange doux-amer de patriotisme et de xénophobie ». Cette critique se manifeste jusque dans les détails les plus petits. Dans la réalité, la tablette de la Statue de la Liberté porte la date de la déclaration d’indépendance des États-Unis, le 4 juillet 1776 (« JULY IV MDCCLXXVI »). Toutefois, à Liberty City, cette inscription est remplacée par un message bien plus cynique :

« Envoyez-nous les plus brillants, les plus malins, les plus intelligents, aspirant à respirer librement et à se soumettre à notre autorité. Regardez-nous les tromper pour qu’ils essuient le cul des riches, pendant que nous les convaincons que c’est une terre d’opportunités. »

GTA 4 opère un changement significatif dans la saga en devenant le titre le plus sérieux de la franchise. La direction artistique subit une transformation radicale, passant d’un style cartoon aux couleurs vives, voire flashy dans le cas de GTA Vice City, à des teintes plus sombres qui dépeignent Liberty City avec une atmosphère grise et morose. Cette évolution majeure découle du désir des développeurs de trouver leur propre voix à travers le médium du jeu vidéo.

Dan Houser, co-fondateur de Rockstar, partageait à l’époque dans une interview pour The Guardians cette volonté de transcender les frontières du cinéma. « Je ne veux pas exagérer, mais avec GTA IV, nous voulions essayer de trouver quelque chose qui pourrait être mieux que les films, d’une certaine manière – plus vivant et plus vibrant. Il était temps d’aller de l’avant et de faire notre propre truc. » Cette déclaration témoigne de la volonté des créateurs de la série de créer une expérience de jeu unique et novatrice, dépassant les limites conventionnelles du média.

Le jeu marque le ton en nous proposant d’incarner Niko Bellic, un immigrant serbe ayant fui son pays et qui a grandi dans la brutalité en participant à la guerre de Bosnie. Le personnage ressort marqué des atrocités qu’il a vécues ce qui le conduit à un certain cynisme vis-à-vis de la vie, avec un certain détachement émotionnel et de nombreuses dépressions. Pour quitter son quotidien rempli de malheur, il va alors se rendre aux États-Unis sur les conseils de son cousin Roman. Pensant pouvoir devenir riche, Niko Bellic va vite déchanter. Le rêve américain est remplacé par une ville rongée par la violence, les gangs et la corruption rendant impossible l’ascension sociale sans tomber dans la criminalité.

GTA 5 : les réseaux sociaux dans une Amérique toujours plus divisée

Avec Grand Theft Auto V, les créateurs ont une nouvelle fois frappé fort en mettant en lumière les dérives de leur époque. Les réseaux sociaux sont exposés de manière peu flatteuse à travers Lifeinvader, une parodie évidente de Facebook. L’ironie est palpable dans le nom même de la plateforme (Envahisseur de Vie), renforcée par une publicité présentant le produit de manière provocante : « Si toi aussi tu rêves de voir tes données personnelles enfin accessibles par le monde entier, rejoins-nous sur Life Invader ».

Cependant, le message le plus crucial ne se limite pas à la critique des plateformes sociales, mais plutôt à une société qui remet en question le système économique contemporain. « Les gens ont ressenti les grandes illusions et les grandes déceptions du capitalisme comme jamais auparavant, et c’est ce que nous avons voulu souligner. En même temps, nous voulions présenter l’argent dans toute son atroce gloire pour en faire un aspect important du jeu. C’est une mécanique qui fonctionne toujours bien, mais de telle sorte que cela reflète aussi un monde dans lequel il devient de plus en plus difficile de s’en sortir », souligne Dan Houser dans une interview accordée à Libération. Cette perspective met en avant la réalité d’un monde où la confiance dans le système économique actuel s’effrite, accentuant les défis de la survie quotidienne.

GTA V expose également une Amérique divisée entre Républicains et Démocrates, une vision intégrée au cœur même du jeu. « On a intégré cette dichotomie au cœur même du jeu : la carte de la ville comporte un quartier « bleu » (Démocrate) avec Los Santos, et un « rouge » (Républicain) avec Blaine County. C’était vraiment amusant de montrer la juxtaposition de ces deux Amériques dans un seul jeu », déclare le co-fondateur de Rockstar. Cette division sociale se manifeste à travers les différents quartiers de la ville. À l’extrême, on trouve la zone extrêmement aisée de Richman (remarquez le nom), où les célébrités de Vinewood résident et pratiquent le golf, en contraste avec South Los Santos. Il s’agit du quartier le plus pauvre et dangereux du jeu, caractérisé par des bâtiments délabrés et des guerres de gangs. De plus, les quartiers de Chamberlain Hills, Strawberry et Davis abritent principalement des Afro-Américains, tandis que Rancho est principalement composé d’Hispaniques, soulignant davantage l’exclusion sociale des minorités.

Les premières images du trailer de GTA 6 laissent présager une continuation de cette approche. La bande-annonce dévoile un Vice City empreint de luxure, mais cela n’occulte pas la présence persistante d’inégalités sociales, notamment la problématique de la pauvreté. La ville semble plongée dans une débauche constante, se traduisant notamment par une hypersexualisation des femmes. Dans ce contexte, l’incarnation d’un protagoniste féminin, Lucia, offre une opportunité idéale pour critiquer cette vision. Restant en phase avec l’actualité et dans la lignée de GTA 5, il est probable que les réseaux sociaux ne soient pas épargnés. En tout cas, la réponse sera donnée en 2025.

Comments

No comments yet. Why don’t you start the discussion?

Leave a Reply